Lettres des Jeux olympiques

Vous pouvez retrouver ce livre ici : Lettres des jeux Olympiques – Maurras

Critique des lettres aux Jeux Olympiques

La pensée de Maurras

Ces lettres sont extrêmement importantes pour qui veut comprendre la pensée de Maurras. Il fut envoyé par la Gazette de France pour couvrir les Jeux olympiques se déroulant comme la tradition le veut, à Athènes. Elles sont adressées au directeur du journal, Gustave Janicot. N’étant pas un journaliste sportif, il s’attardera plutôt à parler de ce qu’il a vu d’Athènes, cette ville, berceau d’une moitié de notre civilisation.

C’est à cette période que selon lui-même il « convertit [s]on esprit à la monarchie ». Il sortira de ce voyage, plus que des lettres à son directeur, un écrit nommé Anthinéa. Pour Maurras ce voyage est un voyage dans le temps, voilà ce qu’il nous dit : « Passé les bouches de Bonifacio, nous sommes entrés pleinement dans le cœur du monde classique, patrimoine du genre humain. J’ai senti là un de mes plus vrais battements de cœur. Cela m’a disposé l’imagination au merveilleux. »

Retour aux racines de notre civilisation

Voilà ce que permet le voyage, un retour pour Maurras aux racines de notre civilisation, les Celtes parisis ne sont-ils pas les lointains descendants de Pâris le fils cadet de Priam et frère d’Hector qui mourut de la main d’Achille ? Pour quiconque se veut être « classique », refusant l’exubérance romantique, on peut aisément comprendre que ce voyage fut initiatique, une sorte de périple homérique, son « prophète » dans le texte. Dans les mots de Maurras, l’on perçoit une description quasi naturaliste de tout ce qui l’entoure, les îles, le volcan Stromboli, les îlots, le vent qui souffle sur eux, la mer ou plutôt « le disque d’azur ». Tout cela nous montre son immense amour de cette région.

Il conclut sa première lettre par : « Mes chers amis de France, si vous saviez combien tout cela nous est fraternel. » Toujours pour appuyer sur ce caractère civilisationnel que partage l’ensemble des pays méditerranéens, sortis de la même matrice, Athènes puis Rome.

Ce voyage s’accompagne de la lecture de l’Illiade comme si Maurras avait voulu s’acclimater le plus possible à sa terre d’accueil. Il y rencontra un compatriote, le frère du Félibre Paul Arène, consul de France. Ce côté initiatique est largement appuyé par Maurras : « Qu’il nous suffise de savoir que, embarqué sur le chemin de fer qui conduit à Athènes, je n’eus pas la patience d’attendre la fin du voyage. Au Thésèion, devant le temple de Thésée, et presque au pied de l’Acropole, je sautai au bas du wagon, commençai mon pèlerinage. »  

Il nous fait une description de l’Acropole, du Parthénon qui brille sur sa « sainte » colline au milieu des autres débris. C’est dommage que Maurras n’ait pas plus continué dans cette idée, nous sommes les héritiers de ce monde il est vrai, mais malheureusement ces civilisations ne sont plus. On peut faire ce reproche d’idéaliser le passé, de le maintenir vivant, artificiellement, chose caractéristique des réactionnaires, mais l’on peut aussi combattre les modernes à vouloir faire oublier nos racines et se projeter dans l’abîme inconnu du progrès, et d’un lendemain qui chante.

Il ne put passer la grille de la porte Beulé, construction romaine, qui donne accès aux Propylées et à l’Acropole, intimidé de voir enfin la source même de la civilisation. Il échouera par deux fois à les franchir. Il commence ensuite à compter les jeux, c’était la raison initiale de son déplacement. Il s’attriste d’avoir vu le drapeau blanc et noir hissé sur le Stade par trois fois, drapeau contre qui les spectateurs auraient même crié à l’injustice. Qui sont ces athlètes ? « Ces barbares germains » comme les qualifie le journaliste. Bien entendu, quiconque connaît la pensée de Maurras saura qu’il déteste le peuple germain et il ne reconnaît même pas de qualité civilisée à ces athlètes en faisant référence à l’appellation que donnaient les Grecs puis les Romains à tout ce qui n’était pas de leur aire civilisationnelle.

Chaque lettre est pour lui le moyen de nous donner à voir Athènes et son héritage, la porte d’Adrien, qui permet de faire un pont entre Rome et Athènes, le Zappéion, monument situé dans le jardin d’Athènes, les colonnes corinthique de Jupiter olympien et les ruines « charmantes » du temple de Bacchus.

Les barbares

Et, il s’intéresse aux monarques présents, le Roi des Grecs (Rex Graecorum, si on peut me permettre cette latinisation), sa belle-fille et sœur de Guillaume II, sa fille à l’apparence germanique fiancée au grand-duc Georges de Russie, ensuite les derniers infants de Grèce qui eux aussi rappellent à Maurras l’hyperborée. On sent que cela lui coûte de voir ces Grecs, héritiers d’une civilisation qu’il idolâtre mélanger leurs races avec des « barbares » germaniques, issus en plus de cela des Hohenzollern, nos bourreaux de 1871. Il fait tout de même remarquer que « ce peuple hellène absorbe et digère tous les barbares qu’il lui plaît, et cette famille régnante semble absolument disposée à tout admettre, à tout permettre, à tout souffrir. »

Pour contextualiser, il faut rappeler que le Roi Georges Ier est issu de la famille régnante du Danemark, mais contrairement à son prédécesseur qui était Prince de Bavière, il s’hellénisa rapidement et comme Maurras le rappel, fait de son mieux pour paraître grec. Peut-on voir dans cette longue description du Roi et de sa famille comme une pointe d’admiration envers la monarchie ? Maurras dira que ce voyage fut celui qui inspirera ses idées royalistes. Son ami Barrès fut étonné que Maurras revînt encore plus antidémocratique qu’avant, en revenant de la ville mythologiquement reliée à cette idée. Ce qu’il abhorrait c’était la troisième république et son parlementarisme.

Concernant la démocratie athénienne, que l’on prend encore aujourd’hui comme exemple, nous nous en faisons une idée fausse. Elle serait, à la lumière des valeurs contemporaines si changeantes et vaporeuses, un régime qualifié de raciste si ce n’est fasciste. La citoyenneté athénienne permettait de voter à l’Acropole. Or n’étaient citoyen que les enfants de citoyen, expulsant de facto tous les étrangers, qui le resteront à jamais. De plus, elle serait ploutocratique, car seules les personnes aisées pouvaient prendre du temps pour débattre et voter sur l’Acropole. Cela étant bien contraire à ce que nos démocrates et autres républicains souhaitent.

Il promet à la fin de sa troisième lettre, plus de détail sur l’évènement sportif qui est d’ailleurs le premier des jeux olympiques modernes, restauré par l’aide du baron français Pierre de Coubertin cette même année de 1896. On aurait pu penser que l’idée de restauration d’une tradition antique eût plu à Maurras, il n’en est pas.

L’internationalisation des jeux

Le caractère internationaliste de l’évènement lui déplut en plus de l’anachronisme de la chose, il aurait fallu une Grèce pour que se déroulent des jeux olympiques. Or à cette époque, il manquait à la jeune Grèce, sortie du joug de la Sublime Porte en 1830, la Macédoine, l’Epire ainsi que la Crète. Il n’y avait plus non plus d’Europe selon lui. Et ce qui lui déplaisait c’était le cosmopolitisme, mot constitué de « cosmos » qui signifie en grec « bon ordre, ordre de l’univers, monde, univers » et « polite » toujours issu du grec qui signifie « citoyen ». Le cosmopolite est donc un « citoyen du monde », un apatride donc, peu de gens de cette race parcourent le monde parce qu’il faut pour cela être rejeté de sa patrie.

Ce mélange de peuples était un risque pour Maurras d’amener au cosmopolitisme, qui serait bénéfique pour les Anglo-saxons. Cette ère du cosmopolitisme allait amener une nouvelle vitalité et prospérité à « nos ennemis éternels » dont le sport était le vecteur pour propager la langue, à l’instar d’une maladie, sur la planète entière. On peut bien entendu, si l’on est cosmopolite dans l’âme, s’offusquer de ces propos, mais n’a-t-il pas raison en parlant du vocabulaire sportif ? Le sport le plus présent sur cette planète est le « football », il y a un but protégé par un « goal ». Quand on va faire un football à 6, on fait un « soccer ». On retrouve des éléments anglo-saxons dans le rugby également, le tennis.

Ce que nous venons de voir était ses premières impressions, son jugement préathénien. Sur place, son jugement changea légèrement : « quand plusieurs races distinctes sont mises en présence, obligées à se fréquenter, bien loin de s’unir par la sympathie, elles se détestent et se combattent au fur et à mesure qu’elles croient se connaître mieux. » Pour lui il était impossible que les hommes puissent s’unir, ils préféraient se combattre, s’affronter.

Il se démarque fortement la vision civilisationnelle qu’applique Maurras à l’étude du genre humain, il combat les Germains ainsi que les Anglo-saxons, ces derniers sont de « terribles envahisseurs », « prétendants à l’empire du monde », jusqu’à les qualifier de « grand péril ». Ce qu’il voit, et qui l’attriste, c’est la montée en puissance de deux jeunes nations, le Reich Wilhelmien ainsi que la jeune Amérique. Le sport, plus encore aujourd’hui, est un moyen de montrer sa domination sur les autres. Ne vous souvenez-vous pas des athlètes allemands lors des JO de 36, des athlètes est-allemands et plus récemment des athlètes chinois en 2008 ? Le sport a remplacé la guerre entre les grandes nations, mais la volonté de soumission grâce à la force brute est toujours là.

Les jeunes nations barbares

Selon lui les plus nationalistes du stade, n’étaient pas les vieux peuples dont les Grecs, mais les Américains. Ces « Yankees » qui faisaient claquer le drapeau de l’Union et faisaient grand bruit amusaient les Athéniens du fait des moyens démesurés et exubérants mis en œuvre pour acclamer leurs vainqueurs. Ces rapprochements de peuples pourraient selon lui, à la différence des rencontres mesurées et sobres d’ambassadeurs, rendre plus faciles les incidents internationaux. Encore une fois, il n’est pas rare que le Quai d’Orsay s’enquière d’une affaire criminelle commise par un national à l’étranger, je pense, aux nombreux Français qui se font avoir avec de la drogue sur eux dans des pays Sud-Asiatiques ou Sud-Américain.

« Non, notre antique Athènes, notre Athènes éternelle ne m’a pas semblé inférieure à tout ce que l’on nous fait rêver sur ce nom divin. » Au départ de sa cinquième lettre, on peut déceler un semblant de paganisme ou du moins une attirance pour l’antique Athènes et ses Dieux. Ce qui est assez ironique puisque la Révolution française fut sans doute une des périodes mettant le plus en exergue l’Antiquité et le paganisme. Au niveau de la religion, Maurras était agnostique même s’il considérait la catholicité comme part de la France.

Et toujours lors de la cérémonie de fermeture, ceux qui le dérangeaient étaient les barbares, les Anglais, les Germains, les Yankees dont « on n’a point idée du farouche ramage que faisait leur voix, rauque ou perçante, poussant des hoch ou des hourras. Sans doute on les supporte, on leur fait fête, il le faut bien. » Allant à les comparer à des Scythes dont on n’aurait donné que le rôle de sergents de la ville. Les Américains parlaient leurs « patois », étrange terme pour un fédéraliste, régionaliste et promoteur de l’Occitan.

Il conclut sa dernière lettre par sa sympathie à la volonté des Athéniens que se déroulent les jeux seulement à Athènes, elle aurait alors retrouvé un rôle en Europe. Et la ville, que beaucoup pensent morte, aurait pu être bien vivante. Comme chacun sait, cela ne fut pas suivi.

Ce texte fondateur est extrêmement intéressant, nous avons en présence sa vive opposition aux Anglo-saxons et aux germains, son amour pour l’Antique et sa quasi-adoration du paganisme Athéniens. Sans oublier le passage sur le Roi de Grèce, à rapprocher de ses commentaires ultérieurs sur ce texte, qui pourrait laisser poindre le royaliste que nous connaissons. 

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