Nation by consent

Le titre de ce livre : La Nation par le consentement pourrait nous rappeler le discours d’Ernest Renan qu’est-ce qu’une Nation ? (1882). La Nation est un consentement mutuel entre ses habitants pour vivre ensemble, avoir des projets communs. Les habitants sont aussi forts de souvenir, d’une histoire passée qui les réunit. Chez Renan, le consentement s’entend par l’acceptation de son voisin, de son prochain pour construire quelque chose avec lui.

Retrouvez l’œuvre de Renan ici : Qu’est-ce qu’une nation – Renan

Murray Rothbard était un économiste de l’école autrichienne. Il fut un disciple de Ludwig Von Mises et un des pères de l’anarcho-capitalisme ainsi que du libertarianisme. Ce texte est intéressant puisqu’il intervient dans un contexte de chute du mur de Berlin et de chute de l’URSS. Les États-Unis ont enfin gagné la guerre froide, c’est la célèbre « fin de l’histoire ». Rothbard s’est attaché à écrire sur la nation, au moment même où son pays devenait une « hyperpuissance ».

Les libertariens s’attachent à deux sujets d’étude : l’individu et l’État. À la suite de la chute du bloc soviétique, le thème de la Nation a refait surface selon lui. Nation auquel nous rattachons le terme d’État pour donner le célèbre « Etat-Nation ». La chute du bloc soviétique a permis la décomposition de l’État centralisé pour revoir apparaître des nationalités en son sein. On pourra penser à la décomposition de la Yougoslavie.

La ré-émergence de la nation

Il rappelle que les libertariens contemporains oublient souvent que les individus ne sont pas que liés par les échanges commerciaux, mais aussi par des groupes : ethniques, religieux, culturels, familiaux qui les définissent.

L’Etat-Nation européen n’a pas commencé comme une nation, mais plutôt comme la conquête impérialiste d’une nationalité originaire de la capitale sur les autres nationalités périphériques. Cela peut nous rappeler l’établissement du français comme langue officielle, supplantant toutes les autres langues régionales et allant jusqu’à leurs quasi-annihilations. Depuis cette période de surgissement des Etats-Nations, fin XVIIIe avec la Révolution française et XIXe pour les autres Nations européennes, la nation est devenue un sentiment d’appartenance à la nationalité basé sur des réalités objectives.

Au Royaume-Uni, l’État central n’a jamais réussi à s’imposer complètement. De même pour l’Espagne qui pourrait, aujourd’hui, se morceler. En France, nous gardons des traces, des bribes de traditions autochtones, mais notre République Jacobine a mieux exécuté son travail de fossoyeur de culture que les autres nations européennes.

Pour Rothbard, la nouvelle République fédérale de Russie n’est qu’un vieux schéma impérial dans lequel les Russes en partant de Moscou, incorporent les autres nationalités comme les Tatars, Tchétchènes, etc.

Rothbard ne peut définir précisément l’idée de nation puisqu’elle apparaît sous de multiples formes. Elle peut se définir comme un groupe ayant sa propre langue et sa propre ethnie. Ou elle peut aussi se définir comme un groupe avec la même ethnie et le même langage, mais avec un alphabet différent ou une religion différente.

La foutaise de la « sécurité collective »

Le problème de la nation a été aggravé au XXe siècle par l’influence du Président Wilson, celui qui édicta les 14 points pour mettre fin à la Première Guerre mondiale. L’idée contre laquelle Rothbard s’en prend est celle de « la sécurité collective contre l’agression ». Le point faible de cette idée est que cela part du principe que tous les Etats-Nations possèdent l’entièreté de leur espace géographique de la même manière qu’un individu qui possède un terrain. Les États ont acquis ces territoires par le biais de la violence ou de traités entre puissances. En aucun cas, les habitants de ces régions n’ont eu leur mot à dire.

L’analogie entre la propriété privée et l’intégrité territoriale d’un État est pour Rothbard, une erreur. L’exemple de la Yougoslavie est assez éclairant sur ce point. Avant 1991, il fallait garder l’intégrité territoriale du pays et toute personne voulant s’en séparer devait être combattue. En 1993, ceux-là mêmes qui défendaient l’intégrité territoriale mirent au pinacle la nationalité serbe pour combattre les sécessionnistes puis s’en prirent aux Serbes pour agressions contre les Bosniaques.

Le président Wilson qui créa l’ONU avait cette idée d’avoir un gendarme mondial pour entrer en guerre ou calmer les tensions entre les nations. Il partait du principe qu’il y avait un agresseur et qu’il fallait défendre l’agressé. Le postulat de base est assez faible et manichéen. Si une nation attaque une autre pour défendre une minorité ethnique qui lui est attachée et qui est mis au ban de la société, doit-on défendre l’agressé qui a une politique discriminante et raciste ou doit-on défendre l’agresseur qui veut protéger une minorité ethnique ? Le gendarme international, dans une posture impérialiste, défendra l’agressé sans se rendre compte qu’il pourra aider une nation impérialiste ayant des politiques jugées objectivement racistes ou injustes.

Il y a aussi le fait que les Américains, les gendarmes autoproclamés, ont été trop longtemps dans une logique manichéenne de gentil capitaliste contre méchant communiste qui pourraient les empêcher d’avoir des réflexions profondes sur la manière dont il faut intervenir dans les Balkans ou dans le Golfe par exemple.

Repenser la guerre de Sécession

Rothbard part du principe qu’aucune frontière n’est juste. La mission des libertariens serait d’établir des entités nationales avec des frontières « justes », avec comme idée derrière que la frontière du terrain que nous achetons est juste. Il faudrait donc décomposer les Etats-Nations coercitifs en de véritables nations, ou nation par le consentement.

Ainsi selon l’idée de Rothbard, toute nationalité devrait pouvoir faire sécession de l’Etat-Nation et en rejoindre un autre. Le problème que cela poserait aux libéraux serait la multiplication des frontières, mais en même temps, les nations se réduisant en taille, l’autosuffisance deviendrait réellement impossible. De même qu’une monnaie mondiale d’or ou d’argent s’établirait logiquement, étant donné que chaque nation aurait sa propre monnaie fiduciaire.

Le pur modèle anarcho-capitaliste

Le pur modèle selon lui est qu’aucun terrain ne devrait rester dans le domaine public. Tout devrait être privatisé. Cela aiderait à résoudre le problème des nationalités même si certaines terres pourraient rester des propriétés d’État.

Se posent alors les problèmes liés à l’immigration. Le premier étant que L’État-providence aide les migrants à entrer et à recevoir une assistance. Le second étant que les frontières culturelles soient submergées. Rothbard a repensé la question de l’immigration quand les Russes ethniques ont inondé la Lituanie et l’Estonie pour détruire la culture et la langue de ces pays. Il cite même Le camp des Saints de feu Jean Raspail dont les peurs ne peuvent plus être moquées à l’aune des problèmes culturels et d’Etat-Providence.

Sur un modèle anarcho-capitaliste, l’immigration ne pourrait être un problème puisqu’aucun État ne pourrait avoir des frontières ouvertes. Étant donné que tous les terrains seraient privatisés. Le pays serait alors fermé, aussi longtemps que le désirent les propriétaires. La politique des frontières ouvertes voulue par les États centraux ne reflète pas forcément la volonté des propriétaires de ces pays.

Sous un régime de privatisation, beaucoup de conflits locals et de problèmes externalisés seraient réglés. Chaque localité, chaque commune réglerait ses lois selon l’envie des habitants. Tandis que les étatistes imposent de manière coercitive leur volonté aux autres.

Il s’attaque alors aux enclaves qui pourraient être présentes au sein même d’une nation. La façon dont il faudrait régler cela serait de la décentralisation. Les enclaves existent déjà avec les Etats-Nations, mais avec la privatisation des terres, les propriétaires s’assureraient qu’il y ait un corridor. Cette solution paraît extrêmement hypothétique, on peut légitiment penser que certain propriétaire ferait tout pour isoler l’enclave et en faire partir ses habitants s’ils s’associaient pour le faire. La solution proposée serait alors l’achat de droit d’accès à l’enclave.

On comprend que la volonté de Rothbard est de minimiser les conflits en donnant le droit à la sécession et la partition des Etats-Nations. Il s’attaque alors à la citoyenneté et au modèle anglo-saxon dans lequel un enfant qui naît dans le pays obtient automatiquement la citoyenneté. Cela a pour conséquence un appel d’air pour l’immigration. Il considère que le système français dans lequel un enfant a besoin de naître d’un citoyen français pour le devenir une fois adulte est plus proche de l’idée de nation par consentement. N’oublions pas que Rothbard a écrit cet essai en 1993 et que nos lois ont pu changer depuis. La forte immigration comorienne que connaissent Mayotte et La Réunion est la preuve que notre système est plus proche du système anglo-saxon que celui dont nous dépeint Rothbard.

Concernant le vote, la plupart des gens s’en désintéresseraient. Les votes concerneraient la manière dont diriger des clubs d’intérêts privés, des entreprises, des communautés et non des nations. La résolution qu’il propose pour passer outre le vote tel que nous l’entendons en démocratie contemporaine serait de ne pas le considérer comme un droit. D’où l’idée de décentraliser le contrôle à un niveau local en supprimant le pouvoir du gouvernement central.

La solution de Rothbard pour supprimer les conflits tels que celui de la Yougoslavie serait de décomposer les Etats-Nations, les déconstruire, tout en décentralisant le pouvoir et en privatisant les terres. Pour être honnête, cette solution semble être un miroir aux Alouettes et c’est extrêmement simplifié.

Cela me rappelle la volonté de Friedman de privatiser les parcs publics pour qu’ils soient mieux entretenus. L’idée était que quand la nature appartient à quelqu’un, le propriétaire allait mieux s’en occuper que la communauté. Nous avons en France des forêts domaniales, lointain lègue du temps de nos Rois où la forêt appartenait à la communauté qui allait y chercher son bois pour l’hiver. L’État n’a aucune des trois composantes du pouvoir que l’on a sur un bien à savoir l’usus, l’abusus et le fructus.

L’usus étant son utilisation qui revient au public, l’abusus étant son aliénation qui n’est possible que par décret avec des règles bien spécifiques et le fructus étant impossible puisque cela n’existe pas dans notre cas.

À défaut de vouloir convaincre les gens pour vivre ensemble, de leur inculquer des valeurs et par la même occasion de faire vivre des peuples homogènes sur un territoire donné, Rothbard préfère laisser faire les individus. Ces éléments, électrons libres se rassemblant par leur seule volonté avec des gens partageant leurs valeurs, religions, culture et langue pour recréer des nations par le consentement. Cette idée est d’une certaine manière très française, c’est en tout cas la conception de la nationalité que nous a partagée Ernest Renan dont nous avons parlé plus tôt.

C’est en quelque sorte une renonciation à l’idée d’Etat-Nation telle que nous l’avons apprise dans le sang au XIXe. Nous avions en France une figure autour de laquelle Picards, Bretons, Basques, Occitans, Bourguignons pouvaient se rassembler, le Roi. Ce qui causa d’ailleurs la perte de la Royauté, en partie, serait selon Tocqueville la centralisation croissante au fil des siècles. En maintenant une décentralisation accrue et en demandant la reconnaissance du Roi comme figure paternelle au-dessus de tous, peut-être serions-nous encore sous un régime monarchique. Il est possible de rassembler des personnes, y compris dans leur différence, avec des projets au-dessus d’eux. Nous pouvons penser aux Croisades qui rassemblèrent des nationalités diverses, ou aux Guerres mondiales.

Néanmoins Rothbard n’a pas tort en signifiant le problème de l’immigration attirée par l’Etat-Providence. C’est sans doute un facteur explicatif important même s’il y en a d’autres. Cependant, un État fort pourrait aussi interdire l’entrée de migrants illégaux sur son sol et fortement réglementer l’entrée des migrants légaux.

La solution de Rothbard ne m’apparaît pas comme viable, mais plutôt fantasmagorique. L’idée de morceler les Etats-Nations parce qu’ils auraient été créés par l’extension d’une nationalité originaire de la capitale qui aurait phagocyté les autres nationalités se raccroche parfaitement à son combat contre l’impérialisme. Cela semble fortement utopique et voué à l’échec. On ne peut en vouloir de ne pas avoir assez détaillé son point vu puisque l’essai ne fait que 20 pages, mais c’est une manière intéressante d’entrer dans l’idéologie anarcho-capitaliste et de voir leurs réponses à certains problèmes, toujours d’actualité.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.